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Dele Sosimi : Questions d'identité.

Une rencontre avec Dele Sosimi, y a pas à dire, c’est quelque chose. On a beau être prévenu, on est toujours surpris. Musicien actif de la scène afrobeat, il traverse le temps. Nigérian et Yoruba, Dele croise la route du « président » Fela. Il devient membre d’Egypt 80 et joue de 79 à 86. Il vole aujourd’hui de ses propres ailes entre Londres – Paris – New-York. International. Définitivement.

Première étape de cette rencontre, le concert. Après un temps d’attente et la salle de la Belleviloise pleine, la première partie commence. Comme d’habitude les salles de la capitale sont mal sonorisées. Trop sourd, trop de basse, trop fort… Je me plains mais c’est probablement la vieillesse qui se fait poindre. Sur scène un Fela junior se trémousse maquillé de peinture tribale rappelant une ethnie inconnue. Une question me taraude, comment se démarquer de Fela si on cherche toujours à y ressembler jusque dans les traits ? La bière paraît coupée à l’eau, mes oreilles sifflent. Je suis décidément un chieur, un rabat-joie de chœur. A force, j’ai envie d’entendre du Fela, tranquille à la maison. Tout ça manque de nuances. Les guitaristes tiennent les cocottes à merveille, le saxo se défend comme un diable mais lutte pour avancer. Je m’en vais fumer des cigarettes.
Enfin arrive Dele. Et là, enfin, le concert peut commencer. L’ambiance change. Le discours aussi. Les arrangements de cuivres sonnent superbement. On reconnaît un autre style. Une marque qui n’est pas seulement celle de Fela. Tout cela est efficace. Vraiment professionnel. Le guitariste navigue entre les genres. Du blues à l’afrobeat en passant par le jazz. Les cuivres sont inspirés. Le batteur plus fin. Bref, on voyage. Et c’était bien mon but. Merci Dele. Je peux rentrer chez moi satisfait.

  dele sosimi

Deuxième étape, ça y est. Quelques jours après le concert, je vais enfin faire mon interview. 9 heures du matin. Mauvaises surprises. On a volé les affaires de Dele dans un mauvais restaurant de Barbès. La honte pour nous. Plus de passeport, de papier d’identité. Encore plus grave, perdues les notes de musiques des derniers jours. Il va être difficile de reprendre l’avion pour le retour prévu à 13 heures. Qu’à cela ne tienne. Dele accepte de faire tout de même l’interview.

dele sosimi
Au final, plus qu’une interview, une heure de discussion passionnante. Je me demande comment caler tout ça dans un article. Dele s’excuse de ne pas pouvoir m’accorder plus de temps. Incroyable je vous dis. De la gentillesse et de la disponibilité à l’état pur. Je me propose volontiers pour rester l’aider dans ses galères. Tout d’abord, trouver de quoi imprimer les documents pour prouver son identité. En plein deuil Tamoul, il est impossible de trouver de quoi le faire dans le quartier de Strasbourg St-Denis. Mais on y arrive. Nous l’accompagnons donc de ce pas au poste de police le plus proche. Le policier qui nous prend en charge parle un anglais impeccable. Stressé devant les autorités je finis par me détendre. Tout le monde est sympa et extraordinairement compréhensif. Dele remplit les papiers de la douane tout en parlant de ses expériences. Nous attendons derrière la porte. Elle s’ouvre, la tête de Dele dépasse pour demander à Jean-Michel comment s’appelle ce fameux fromage à l’ail qu’il avait goûté. Je n’en reviens pas. Malgré la situation ça discute Gaperon dans le bureau.

Au bout d’une demi-heure, les papiers sont remplis. Tout le monde repart avec son flyer en promettant d’aller écouter ça de ce pas. On dépose Dele dans le bon RER. 11 heures 30, il a encore une chance. Non ? Le voyage sera plus couteux que prévu. Honte à nous je vous dis.

C’est seulement là que je rentre chez moi pour avoir une dernière mauvaise surprise. Prévoyant de partir en discussion, je m’étais refusé aux notes en m’armant de mon mini-disc afin d’enregistrer tranquillement le tout. Mais là, paf. Le disque saute et efface la totale. La crise. C’est donc beaucoup moins fier que je le recontacte quelques jours plus tard pour lui demander une nouvelle interview par téléphone. Et là, toujours aussi incroyable, il se montre tout aussi énervé que moi d’avoir perdu l’enregistrement. Jean-Michel lui demande s’il a 10 Minutes à nous accorder. Réponse : « J’ai toujours 10 minutes pour toi ». Que dire… Au final, il nous accordera 30 minutes de plaisir. Condensé :

Que pensez-vous de la nouvelle scène Afrobeat comme par exemple les norvégiens du Soul Jazz Orchestra ?

Intéressante. Beaucoup de choses. C’est à vous d’écouter. Il faut faire des choix. C’est une appréciation qualitative.

Pensez-vous que le concept de l’afrobeat soit devenu corrompu ?

Je ne sais pas. Ils n’appartiennent pas à la famille afrobeat. Ils jouent, la plupart du temps, par amour pour Fela. Par amour de son personnage. L’afrobeat, c’est un peu comme un secret. La pleine capacité d’être à même de composer, orchestrer de l’afrobeat original. Tout cela vient avec beaucoup de temps.

section cuivre

On parle souvent de vous en faisant référence à votre passé de claviériste de Fela. N’est-ce pas un problème d’être souvent considéré dans son ombre ?

Je ne pense pas être dans l’ombre de Fela. Je suis membre actif d’un projet musical. Fela est le point référent. Je me considère plus sous son aile, pas son ombre. En tout cas, je suis fière d’être associé à Fela. Mais, quoi qu’il arrive, je continuerai de voler de mes propres ailes.

ikwunga

Vous êtes à proprement parler un véritable artiste international (ndlr : Dele Sosimi vit aujourd’hui à Londres). Comment composez-vous votre musique ?

Avec beaucoup de temps. Je pense à quelque chose. Je prends des notes. Ça peut durer 3 ou 4 ans. Tout est lié à ce qui se passe autour de moi. Je suis inspiré par les gens avec qui je travaille. L’inspiration vient par sujet. Cela prend du temps pour arriver à maturité. Parfois il y a un désir très fort. J’ai produit Ikwunga Calabash, le premier poète afrobeat. J’ai écrit la musique sur ses mots. Je n’ai pas écrit ses paroles, ses sujets. L’accompagnement est plus facile à écrire pour moi…

Comme pour Fela ?

Oui. Je ne vais pas en studio comme ça. Mais quand financièrement je peux le faire, en 2 semaines c’est fini. Quand je vais en studio, tout est prêt. Le contenu de ma musique, les mots, les messages… Avant d’aller en studio, il faut que cela ait du sens pour moi. Certains morceaux sont dans ma tête, d’autres sont écrits. J’écris toujours.

Avec qui aimeriez-vous travailler ?

(Silence) Il y en a tellement. Salif Keita en premier puis Manu Dibango et Mori Kante. Voilà pour le continent africain. Pour la scène mondiale j’aimerai faire un projet avec Herbie Hancock, Brandford Marsalis ou Roy Hargroove.

Vous avez des projets pour le futur ?

Afrobeat Vibration. Avec lequel je joue. Il y a un set de 3 heures minimum. C’est une sélection de bons musiciens basés à Londres. J’aimerai jouer ce projet dans les grandes villes du monde. Nous recréons l’atmosphère qu’il y avait au Shrine (ndlr la salle mythique de concert de Fela). On met de la musique dès 22 heures mais on joue à partir de minuit jusqu’à 5 heures du matin !

Des dates en prévision ?

Le Portugal. Fmm sines. Le 18 juillet. Et d’autres dates en Angleterrre comme le Brent Respect Festival.

dele sosimi

Vous êtes très impliqué avec votre manager (ndlr : qui est aussi sa femme) dans l’intégration des enfants et la recherche de leurs identités… Pouvez-vous nous en parler ?

On essaye de rencontrer les communautés. Leur expliquer ce que l’on fait avec ma musique et des ateliers afrobeat. Donner l’expérience du jeu, l’expérience professionnelle. Si on ne laisse pas les enfants apprendre, ils ne connaîtront pas leurs racines. J’ai développé des ateliers afrobeat à l’orchestre de l’école. On travaille avec eux. On fait ensuite un concert le soir et on joue ensemble.

Propos recueillis par LaGargouille et Jean-Michel Rousset.

Dele Sosimi « Identity » paru en juillet 2008

Pour plus d’information sur les ateliers afrobeat : http://www.distinctlydifferent.org/

Site officiel : http://www.delesosimi.org/index.php

My Space : http://www.myspace.com/delesosimi