Donny Hathaway - Everything is Everything
« There's nothing, nothing you can teach me
That I can't learn, from mister Hathaway »
Voilà ce que nous pourrions répondre aux nombreuses impostures de la nouvelle soul et du Rn’B actuel. Et pourtant, ces paroles sont le refrain du tube récent d’Amy Winehouse, Rehab. Qui est donc ce mister Hathaway qui semble être le gourou des clones de Macy Gray (Amy Winehouse, Angela McCluskey, Duffy, Adele, etc.) et une icône pour les rappeurs et chanteurs de Rn’B (Urban Music) ? Qui est ce modèle méconnu auquel on attribue un rôle fondamental dans la soul des années 70 ? Mon objectif est ici de rendre hommage à un grand maître de la soul, un peu oublié et souvent cité pour des raisons pas toujours sincères…
Donny Hathaway, chanteur-auteur-compositeur-pianiste-organiste-percussioniste-arrangeur-producteur noir américain (un Prince avant l’heure ?) est mort très jeune (1945-1979). Et cette image du « young, gifted and black singer » se donnant la mort contribue encore aujourd’hui à sa petite et ingrate renommée. Il fallait bien que les musiques afro-américaines aient leur propre artiste au destin tragique, leur « James Dean ». Pour en savoir plus, je vous invite à consulter les biographies présentes sur internet.
L’écoute attentive de la musique de Hathaway est une vraie pédagogie de la soul : le gospel, le blues, le jazz et le rythm and blues ont chacun leur part dans ses compositions et ses interpretations. Son premier album (LP), Everything is Everything en 1970 annonce une fulgurante et très courte carrière puisqu’elle s’achèvera véritablement en 1973 avec le très spirituel Extension of a Man. Je vous propose de découvrir Everything is Everything. La fraîcheur de cette galette est intacte ! Pas une note de trop. Tout y vient de l’âme et du cœur ! |
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Quelques notes de basses introduisent le premier titre Voices Inside (Everything is Everything). La rythmique funk se met en place, assez facilement et avec un trille blues le piano nous met dans l’ambiance. C’est le chœur qui mène la danse et le chanteur soliste se fait désirer, avec des interventions laconiques. La véritable vedette sur ce premier morceau, c’est la section dite « cuivre », avec pas moins de seize musiciens. L’arrangement est exceptionnel. On peut en outre apprécier les talents pianistiques de mister Hathaway, même si, il faut l’avouer, le chorus au piano électrique est un peu fade et sans grand intérêt. Les frappements de mains présents tout au long du disque nous rappellent constamment l’inspiration principale de la soul : la ferveur.
Je vous aime (I Love You) au cas où on ne l’aurait pas compris… L’écriture harmonique de ce deuxième titre nous plonge dans l’esprit de la Motown. Les mots en français « je vous aime beaucoup » (traduction impropre du « I Love You So ») sont prononcés avec l’accent anglais typique ! Juste ce qu’il faut d’exotisme pour satisfaire les anglophones comme les francophones. On peut profiter de la niaiserie des paroles pour tendre l’oreille sur la façon dont les mots sont littéralement « projetés » par Donny (en alternance avec un chœur). Cette façon de « projeter » le texte ne laissera pas Stevie Wonder indifférent. L’ambitus de la voix est aussi remarquable, d’autant plus que le chanteur n’en abuse jamais.
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I Believe To My Soul. Cette reprise de Ray Charles est réussie. L’arrangement aux cuivres est toujours ingénieux et le solo de piano électrique est très sobre. Le timbre de voix, légèrement plus chaud que celui de Stevie Wonder, est très expressif. Avec Misty, la ballade de l’album, écrite par Erroll Garner, Donny vient apporter sa contribution à la longue liste des reprises de cette chanson. La section cuivre se fait plus discrète, mais toujours aussi efficace. Et voilà une interprétation qui n’a rien à envier aux Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et Aretha Franklin. Je vous propose d’écouter la version de Chuck Brown qui sort du lot, elle aussi. Ce que je retiendrai de Sugar Lee, c’est cette rythmique contrebasse-batterie-piano électrique, presque jazz-électro. La ferveur est toujours là, en espagnol ! |
Le Blues est un parent de la soul et Tryin’Times nous le prouve, dans le texte et la musique. Les vocalises du début (« yeah ») préfigurent le Rn’B actuel.
Dans Thank You Master (For My Soul) le soul singer rend grâces à Dieu. C’est le Donny “preacher”qui nous parle dans cette chanson. Après tout, n’hésitait-il pas entre une carrière de Pasteur et une carrière de prof de musique ? L’influence de Debussy, son compositeur fétiche, plus dans les sonorités du piano que dans l’harmonie, est évidente. Le retour des cuivres à la fin du morceau est splendide !
The Ghetto. Le ghetto est pour lui un sujet de prédilection. Né à Chicago, il a cependant grandi dans le ghetto de St. Louis (Missouri) et a donc souffert de la discrimination. Et pourtant, ce ne sont pas les mauvais côtés du ghetto qu’il chante dans cet hymne funk-soul aux couleurs afro-cubaines, mais la joie quotidienne. Le réconfort, il l’a trouvé dans la musique religieuse chrétienne (gospel), dans la vie festive du ghetto. C’est le morceau qui marque ! Celui qu’on entend une fois et qu’on n’oublie jamais. La ligne de basse jouée par Marshall Hawkins y est pour beaucoup. L’esprit de Carlos Santana (pourtant absent) plane sur cette musique et en fermant les yeux, on croirait presque l’entendre jouer de la guitare par-dessus, pour se mêler à cette fête. Le ghetto, on n’en parle pas, on le vit ! Les conversations au coin de la rue, un bébé qui pleure, le ghetto c’est la vie ! Le tout, scandé par des frappements frénétiques de mains et des congas. Quelle leçon pour nos ersatz de rappeurs français qui décrivent la banlieue parisienne comme l’enfer sur terre ! The ghetto n’est pas un succès commercial et pourtant ce morceau est culte pour toute une génération et toute une communauté. Un des premiers rappeurs, Too $hort reprend ce titre et le tube house Groove is in the heart de Dee-Lite semble un écho lointain de cette fête au ghetto.
L’album se referme avec une des plus belles pages de la musique afro-américaine, To Be Young, Gifted and Black, écrite par Nina Simone (à écouter !). L’interprétation de Hathaway est beaucoup plus intimiste, même s’il s’agit d’un morceau de bravoure sur le plan vocal. Il s’est approprié le texte, au point d’y ajouter quelques phrases. |
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Reste maintenant la question suivante : comment aurait évolué la carrière de Donny Hathaway s’il avait vécu plus longtemps ? Certes, il ne fût pas une « machine à tubes » comme Stevie Wonder ou Quincy Jones et aucune de ses compositions ne porte véritablement l’empreinte du génie. Mais quelle leçon de simplicité, de sincérité et de ressenti dans la voix et dans le geste ! Une courte apparition dans l’histoire des musiques, pleine de promesses et d’espoirs !
Benouk
Pour aller plus loin…
-To Be Young, Gifted and Black par Nina Simone
- I believe to my soul par Ray Charles
-I believe to my soul par The Animals
-Misty par Chuck Brown
-Misty par Ella Fitzgerald
Autour du Ghetto…
-The Ghetto par Too $hort
-The Ghetto par George Benson
Encore plus loin…
-Someday we’ll all be free (Extension of a Man, 1973).
- Someday we’ll all be free par Aretha Franklin
- Someday we’ll all be free par Alicia Keys
-I Love You More Than You’ll Ever Know (Extension of a Man)
-I Know It’s You (Extension of a Man)
Autour de Donny…
-The First Time Ever I saw Your Face (First Take, 1969), Roberta Flack
-Oye com ova (Abraxas, 1970), Carlos Santana
-All in Love is Fair (Innervisions, 1973), Stevie Wonder
-Rivers of My Fathers (Winter in America, 1974), Gil Scott-Heron
-The Lady in my Life (Thriller, 1982), Michael Jackson
-Groove is in the heart (1990) de Dee-Lite